J'ai précédemment évoqué que les kujiragumi allaient progressivement disparaître à partir du milieu du 19e siècle du fait de la diminution brutale du nombre de baleines approchant les côtes japonaises. La raréfaction des baleines est probablement due au fait que le nombre de baleiniers occidentaux opérant au large du Japon a considérablement augmenté à cette époque.
En effet, après l'ouverture de la route du Pacifique à la fin du 18e siècle, les baleiniers américains et européens vont petit à petit étendre leurs activités à cet océan et atteindre les eaux au large de l'archipel nippon en 1820. La richesse de cette zone en ressources baleinières va lui valoir le nom de "Japan Grounds". Les Yankee Whalers y chassent principalement les cachalots et baleines franches. Cependant, l'absence de port de ravitaillement dans cette zone va amener les baleiniers occidentaux à essayer d'obtenir eau et bois auprès de ports japonais, et se voir chassés par les autorités locales. L'envoi de navires de guerre américains commandés par le commodore Matthew C. Perry pour obtenir l'ouverture de ports par le shogounat d'Edo en 1853 a été semble-t'il partiellement motivé par les besoins des baleiniers américains.
Comme je l'ai expliqué avant, l'organisation des kujiragumi nécessitait la gestion d'une importante main d'œuvre et reposait donc sur un équilibre précaire qui pouvait amener le groupe à la faillite au moindre bouleversement dans les conditions sociales ou écologiques. Nombreux sont les cas de kujiragumi ayant disparu avant même de finir une saison de chasse, et même les plus importants ont dû faire appel à des capitaux extérieurs, provenant souvent des seigneurs locaux, pour se sortir de situations délicates.
Face à cette crise, les dirigeants des kujiragumi vont tenter par différents moyens de donner une seconde vie à leur tradition. La première voie consistera à s’installer dans des régions où la chasse à la baleine n’a pas encore été introduite, en particulier dans le nord de l’archipel. Par exemple, Daigo Shinbê, qui organise la chasse à la baleine à Katsuyama (sud de la péninsule d'Awa - actuellement département de Chiba), sera ammené à introduire cette pratique en Hokkaidô. Néanmoins les chasseurs vont se heurter à deux problèmes de taille : l’opposition des pêcheurs de ces régions qui considèrent que les baleines sont des incarnations du dieu Ebisu ; et le fait que les embarcations utilisées dans le sud-ouest du Japon ne sont généralement pas adaptées aux conditions maritimes du nord.
L’autre piste est celle de l’amélioration des techniques de chasse. Ainsi des filets plus grands vont faire leur apparition dans la région du Saikai puis dans la province de Tosa à partir des années 1850. Ces grands filets sont utilisés dans des zones où la mer est plus profonde et sont destinés à permettre la capture des baleinoptères à la place des baleines franches qui sont devenues rares. De même, dans les années 1870-1880, les chasseurs japonais vont essayer d’intégrer l’utilisation de canons projetant des harpons explosifs, appelés bomb-lance et développés par les Anglais et Américains, à leurs méthodes de chasse traditionnelles. Ces armes étant cependant dangereuses et difficiles à employer, leur introduction n’aura que peu d’effet.
Malgré les succès plus ou moins grands de ces tentatives d’adaptation des méthodes de chasse au filet, celle-ci reste limitée par son aspect passif et les kujiragumi vont progressivement disparaître dans la seconde moitié du XIXe siècle. La fin de ces groupes de chasse est notamment marquée par la tragédie qui s’est produite le 24 décembre 1878 et lors de laquelle plus d'une centaine de membres du kujiragumi de Taiji ont péri dans une tempête de mer en tentant de capturer une baleine franche accompagnée de son petit.
La deuxième moitié du 19e siècle est également marquée par des tentatives d'introduction des méthodes de chasse baleinières dites "américaines". La plus notable est celle de Nakahama Manjirô 中浜万次郎, également connu sous le nom de John Manjirô, qui fut sauvé par un baleinier américain après un naufrage. Fort de l'expérience et des connaissances qu'il a acquises lors de ses années aux Etats-Unis et de plusieurs campagnes de chasse à la baleine, Manjirô va entreprendre en 1863 une expédition de chasse à la baleine au large des îles Ogasawara en embauchant des harponneurs occidentaux et grâce à un baleinier appartenant à un seigneur de la province d’Echigo, Hirano Renzô 平野廉蔵. Malgré la capture de deux cachalots, les techniques de chasse américaines ne prendront pas racine au Japon et il faudra attendre la fin du 19e siècle et l'apparition du canon lance-harpons pour que la chasse à la baleine reprenne son essor dans ce pays.
A suivre...
jeudi, janvier 31, 2008
L'histoire de la chasse à la baleine au Japon - 5
Publié par
isanatori
Libellés : histoire
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