vendredi, janvier 26, 2007

Contempler les bateaux des chasseurs de baleines d'autrefois

Pour illustrer un petit peu ce que j'ai dit dans "L'histoire de la chasse à la baleine au Japon - 3", je me permets de reprendre un article du Yomiuri shinbun (édition d'Ôsaka) que j'avais traduit pour un forum internet sur le Japon :

Contempler les bateaux des chasseurs de baleines d'autrefois
Yomiuri (Ôsaka), le 18 octobre 2005


Les couleurs pâlies racontent les vicissitudes de la chasse baleinière


S'agit-il de l'épave d'un bateau qui a fait naufrage, a été tourmenté par les vagues et a dérivé ?

Il ne reste que trois planches en partie pourries. Elles mesurent entre 2 et 4 mètres. Eventails en bois de cyprès du Japon (hinoki) avec pompons, bambous flottant sur fond noir, .... Bien qu'ils aient pâli, les dessins figurant sur leur surface nous informent sur l'origine de ces planches.

Il s'agirait d'une partie des flancs et de la proue d'un sekobune (bateau rabatteur), un bateau de chasse à la baleine que l'on conduisait au large à la rame et à bord duquel se trouvait un harponneur appelé hazashi. On estime que ces planches on été fabriquées durant la fin de la période d'Edo. Elles sont conservées au Musée de la baleine de Taiji (département de Wakayama).

La chasse baleinière traditionnelle serait apparue dans la baie de Taiji (province de Kii) en 1606, au début de la période d'Edo. C'est à cette date qu’un cartel spécialisé appelé sashite-gumi se serait formé. Un demi siècle plus tard, la technique de chasse consistant à piéger la baleine avec des filets et à l'abattre à l'aide de harpons, y a été mise au point et transmise aux autres régions.

C'est ainsi que les baleines, que l'on craignait et auxquelles on donnait le nom d’isana (poisson valeureux), ont autrefois apporté de nombreuses richesses aux hommes. C'est également à cette époque que les sekobune ont été parés de dessins aux couleurs vives. On ignore si c'était pour stimuler les hazashi qui affrontaient de gigantesques baleines au corps à corps, ou une façon pour les propriétaires des bateaux de montrer leur pouvoir.

Au début de l'ère Meiji, la chasse traditionnelle qui avait prospéré au point que la capture d’"une baleine apportait la richesse à sept villages", a brutalement touché à sa fin à Taiji. C'est suite à un naufrage sans égal que de nombreux hazashi et bateaux ont disparus dans les vagues.

Plus tard, la chasse à la baleine a repris jusqu'à ce que soit adopté un moratoire sur la chasse commerciale. Ces planches ont traversé le cours du temps et racontent les succès et les échecs de la chasse à la baleine (isanatori) qui comptera 400 ans d’histoire l’année prochaine.


Reproduction d'un d'une peinture sur rouleau de la période d'Edo. On peut y voire de petites embarcations affronter une immense baleine.

Le grand naufrage qui a mis fin au kujiragumi de Taiji

Sans doute est-ce parce qu’il s’agit du lieu où la chasse à la baleine est apparue, les sekobune de Taiji étaient réputés pour être majestueux et magnifiques.

Dessins de pawlonia, phénix, wari-kiku (chrysanthèmes), shôchikubai (pins, bambous et pruniers) et éventails en bois de hinoki.... A la période d’Edo, ces bateaux décorés de divers motifs glissaient entre les vagues en formant des escadrons. Composé de plus d’une dizaine de personnes, leurs équipages ramaient au rythme des cris des barreurs et rabattaient les baleines vers la mer de Kumano.

Ces escadrons pouvaient compter jusqu’à 25 embarcations. Le spectacle offert par ces bateaux aux couleurs éclatantes écumant ensemble une mer d’un bleu foncé, devait certainement être superbe. Un érudit en culture traditionnelle japonaise du fief de Kii a d’ailleurs composé un poème à ce sujet.

"La procession des 80 bateaux de Kumano chassant la baleine sont comme des fleurs et des feuilles dispersées au milieu de la baie."

La chasse traditionnelle à la baleine a été initiée au début de la période d’Edo par le sashite-gumi qui était composé de pêcheurs de Taiji.

La baleine franche qu’ils appelaient semi (beau dos), mesurait en moyenne 16 mètres pour un poids de 60 tonnes. Un pêcheur ne pouvait en aucun cas l’affronter seul. Comment capturer une baleine qui migre en utilisant le courant marin du Kuroshio et vient près du littoral ? Membre d’un puissant clan, Wada Yorimoto, après avoir médité sur cette question, a pris la direction d’un groupe de pêcheurs et a créé les bases de la méthode de chasse en groupe.

Ce sont les sekobune qui tiennent le rôle principal dans ces escadrons. Ces embarcations à bord desquelles se trouvent les harponneurs dits hazashi, ont la tâche d’abattre les baleines. L’ordre hiérarchique de ces bateaux est déterminé par leurs dessins : le leader est celui orné d’un phénix, l’éventail en bois de hinoki marque le cinquième rang. Il y a d’autres types d’embarcations dont les rôles sont de déployer les filets ou de transporter les baleines capturées, mais leurs décorations étaient paraît-il modestes.

Le sashite-gumi a par la suite pris le nom de kujiragumi. Les opérations de chasse, de dépeçage et de transformation des matériaux ont été perfectionnées. On comptait 40 bateaux à Taiji au milieu de la période d’Edo, âge d’or de la chasse baleinière traditionnelle.

Le "Nippon eidai-gura" d’Ihara Saikaku offre un témoignage de cette époque. "Les grandes baleines aux mille saveurs... La ferveur de sept villages... On peut bien remplir plus de mille tonneaux en extrayant l’huile. Chair, gras, nageoires, comme rien ne se jette, il est aisé de s’enrichir."

En 1681, 95 baleines ont été capturées. Le prix d’une baleine franche pouvait dépasser 100 ryô (pièces d’or), parfois même atteindre 300 ryô. Ces kujiragumi rassemblaient également des charpentier ou des peintres et constituaient le summum des organisations de travail à l’époque pré-moderne.

"Les splendides dessins des bateaux sont le symbole de la prospérité des baleiniers. Mais ils ont tout perdu lors du grand naufrage...", raconte M. Kita Yôji (63 ans), président du conseil d’éducation de la ville de Taiji et dont le grand-père était le "dernier hazashi".


Maquette grandeur nature d'un sekobune exposée au Musée de la baleine de Taiji.

C’est à 15 heures, le 24 décembre 1878 que cela s’est produit.

En haut du cap Tômyôzaki, un signal est lancé depuis le yamami qui sert de lieu de commandement à la chasse baleinière. En point de mire se trouve une grosse baleine franche accompagnée de son petit. Il pleut, le coucher du soleil est proche. En temps normal, les gens du "kujiragumi" ne prendraient pas la mer, mais leur vision des choses est brouillée. Les baleiniers américains et anglais chassent intensivement dans les eaux autour de l’archipel et les prises restent maigres pour les chasseurs japonais depuis le début de l’ère Meiji.

Les embarcations du kujiragumi de Taiji se lancent les unes après les autres dans la mer en ce début d’hiver, alors que le coucher du soleil se fait de plus en plus menaçant.

Les bateaux qui avaient pris les devants, déploient les filets. Les harpons sont lancés depuis les sekobune. Tout en affrontant la baleine qui se retourne sur elle-même, les embarcations sont petit à petit emportées vers la haute mer. Au bout de la nuit, l’animal a été achevé, mais la pluie et le vent sont violents. Avalés par de puissantes vagues, les bateaux se retrouvent dispersés.

Certains ont dérivé vers l’île de Kôzushima (îles Izu), distante de 300 kilomètres, et ont réussi à rentrer chez eux près de trois mois plus tard, mais de nombreux baleiniers ont péri du fait des vagues, de la faim ou du froid.

Il s’agit de la plus grande tragédie de l’histoire de la chasse à la baleine au Japon. On l’appelle le "naufrage de la grande baleine franche (ôsemi-nagare)", du nom de l’animal capturé.

Le kujiragumi a été anéanti. Cependant, "on ne sait pourquoi, aucun document faisant état des morts et des disparus n’existe", raconte l’historien local Horihashi Hiroshi (87 ans). Selon ses recherches, il estime que la flottille était composée d’une vingtaine de bateaux à bord desquels se trouvaient 258 personnes et qu’au minimum 119 ont trouvé la mort lors du naufrage. Les chiffres réels sont encore inconnus aujourd’hui.

On peut imaginer quelle a été la détresse provoquée par cette tragédie à Taiji. Sans doute parce qu’ils ne pouvaient supporter l’idée de rester, les rescapés du naufrage sont partis les uns après les autres chercher une nouvelle vie en Amérique. Par ailleurs, la mise en garde "une baleine franche accompagnée de son petit, même pas en rêve !", a fait son apparition à Taiji. Les gens pensent que c’est parce qu’ils ont pourchassé la baleine et son petit, que les baleiniers ont fait naufrage.

M. Horihashi estime que les habitants de Taiji ont ressenti une douleur dont ils voulaient se défaire au point d’ériger la baleine et son petit en tabous. De même, le fait qu’il ne reste aucune trace écrite des naufragés, est probablement dû à leur volonté d’essayer d’oublier le cauchemar du naufrage de la grande baleine franche.


Shôwa-maru. Bateau de chasse côtière aux petits cétacés basé à Taiji.

Deux bateaux à Taiji de nos jours

Même si l’époque de la chasse traditionnelle est révolue, la chasse à la baleine continue.

A la fin de l’ère Meiji, le canon lance-harpon a été introduit depuis la Norvège et la chasse baleinière moderne a débuté. Les sekobune ont été remplacés par des bateaux motorisés appelés tentobune. Dans les années 1960, les flottes baleinières à destination de l’Antarctique comptaient plus de 200 canonniers originaires de Taiji. A la place du harpon traditionnel, ces derniers maîtrisaient désormais le canon lance-harpon.

Hamai Shimasaburô (81 ans) qui est né sur le bateau qui conduisait son père pêcheur et sa mère en Amérique et qui est retourné au Japon avant la Seconde Guerre Mondiale, était l’un d’eux. "Etant attiré par les tentobune depuis mon enfance, je suis naturellement devenu baleinier", se souvient-il. Il faisait partie de l’élite des canonniers, abattant 22 rorquals communs, 473 rorquals de Rudolphi et 23 cachalots rien que pour la saison de chasse 1965-66 en Antarctique.

La tradition qui a créé ces gens que l’on peut qualifier de "hazashi des temps modernes", est aujourd’hui de nouveaux menacée par la crise. Depuis l'année 1982 lors de laquelle la Commission baleinière internationale a adopté un moratoire sur la chasse commerciale, le déclin de cette activité se poursuit. A Taiji, seuls deux bateaux continuent la chasse côtière des petits cétacés tels que la baleine à bec de Baird et les globicéphales, qui n’est pas réglementée par la CBI.

On descend du cap Tômyôzaki vers le port de Taiji, tout en contemplant la mer. Sur le bord du chemin se trouve un monument de pierre sur lequel est gravé "Monument à la mémoire des naufragés". Il mesure 2 mètres de haut. Nulle part sont indiqués la date ou le nom de la personne qui l’a fait ériger. C’est un rescapé du naufrage de la grande baleine franche qui l’aurait construit.

Ce monument évoque tristement la fierté et les regrets du kujiragumi qui a marqué une époque et a disparu en même temps que les sekobune.

Les vagues grondent.

En bas, elles se brisent contre les rochers.

Texte – Sekiguchi Kazuya
Photos – Ônishi Kenji


Note :
Du fait de l’entrée en vigueur du moratoire sur la chasse commerciale à la baleine, seule la chasse côtière est possible. Le gouvernement japonais fixe des quotas annuels pour chaque espèce de cétacés : 66 baleines à bec de Baird, 50 globicéphales tropicaux. Ces cétacés sont chassés dans quatre ports dont Taiji, Wada (département de Chiba) et Abashiri (département de Hokkaidô). D’autre part, le Japon conduit des campagnes de chasse scientifique, notamment en Antarctique, et soutient que le nombre de rorquals de Minke augmente et permet l’exploitation de ces ressources.
Cependant, lors de la réunion plénière de la CBI qui s’est tenue en Corée du Sud au mois de juin de cette année, la proposition japonaise appelant à la reprise de la chasse baleinière commerciale a été rejetée (23 voix pour, 29 contre, 5 abstentions). La situation reste difficile.

A voir :
Le musée municipal de la baleine de Taiji a ouvert en 1969. On y compte un millier d’objets exposés dont divers éléments présentant la chasse traditionnelle : répliques de sekobune, outils de chasse ou peintures sur rouleaux (emaki). La reproduction grandeur nature d’une baleine franche vaut également le détour. Au cap Tômyôzaki où se trouvait le yamami, ont été reconstitués un phare à huile de baleine de la période d’Edo, une plateforme de commandement faite de pierres entassées et une cabane. Le cap Kajitorizaki où se trouvait un autre yamami, a été aménagé en parc.


*****************Fin de l'article*********************

Commentaires personnels :
- L'article indique que la chasse à la baleine serait apparue à Taiji en 1606, ce n'est pas tout à fait vrai. En fait on estime que les Japonais on commencé à chasser les grands cétacés à la fin du XVIe siècle à Morozaki, au sud de la péninsule de Chita, dans les baies de Mikawa et d'Ise. En 1606, Wada Chûbei Yorimoto 和田忠兵衛頼元 a fait appel à un chasseur de cette région et à un commerçant du Kansai pour lancer une chasse baleinière de grande envergure à Taiji sous la forme d'un cartel appelé sashite-gumi (刺手組). Les techniques de chasse au harpon vont se répandre le long de la côte de Kumano, puis sur l'île de Shikoku (Tosa) et au Nord-Est de celle de Kyûshû (région du Saikai).
En 1675-77, un descendant de Wada Yoritomo, Taiji Kakuemon Yoriharu 太地角右衛門頼冶 va mettre au point une méthode de chasse employant harpons et filets et permettant d'assurer la capture des baleines, notamment de celles dont le cadavre coule (rorquals) après la mort.
Bien que la région du Saikai ait été la plus prospère en ce qui concerne la chasse traditionnelle à la baleine, les baleiniers de Taiji ont joué un rôle important dans la transmission de ces savoir-faire.

- L'article n'en fait pas mention, mais la région de Kumano était réputée pour ses suigun (水軍), organisations militaires maritimes. On pense que les suigun se sont recyclé dans la chasse à la baleine, faisant usage de leur organisation et de leurs moyens logistiques (bateaux, tours de guet, etc.) à cet effet.

- La malédiction/tabou de la baleine franche accompagnée de son petit se retrouve dans d'autres régions où la chasse était pratiquée traditionnellement. Elle prend généralement la forme d'une histoire lors de laquelle le gérant d'un kujiragumi rêve d'une baleine lui demandant d'épargner son petit et elle. Les baleiniers ignorent cette demande et sont ensuite punis sous la forme d'un naufrage.

- J'ai eu l'occasion de visiter le Musée de la baleine de Taiji en août 2000. Celui-ci est très intéressant, que ce soit au sujet des baleines ou de leur chasse. Il comporte quelques annexes dont un ancien baleinier installé à câle sèche sur la côte, un aquarium, un local où sont présentés deux loutres de mer et des spectacles de dauphins et autres orques. Depuis 2005, une reconstitution du squelette d'une baleine bleue est exposée à l'extérieur. Si vous passez par-là, allez-y, ça vaut le coup.
Le site du musée : http://www.town.taiji.wakayama.jp/museum/
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jeudi, janvier 25, 2007

"L'amour des baleines" de Greenpeace

Aujourd'hui, 25 janvier 2007 marque le début d'une nouvelle campagne de Greenpeace pour "convaincre" les Japonais d'arrêter de chasser les baleines. Leur stratégie : un jeune aikidoka espagnol et une jeune illustratrice japonaise qui vont parcourir l'archipel a bord d'un van appelé "Whale-Love Wagon" (en anglais) et "くじラブ・ワゴン" (en japonais) et poser des questions aux Japonais. Autrement dit, Greenpeace surfe sur la vague "trendy" en reprenant plus ou moins le concept d'une émission de TV-réalité japonaise populaire ("Ainori あいのり").

Bien que le site soit ouvert depuis quelques jours, ce n'est qu'aujourd'hui que la première vidéo des pérégrinations d'Ivan Rigual et Yuki Koinuma a été rendue publique. Le site est en japonais et en anglais, mais on peut trouver quelques différences (et aussi erreurs de traduction, probablement) entre les deux versions. Par exemple, dans le message de Greenpeace à l'ouverture du site, on nous dit en anglais que "quasiment toutes les nations ont changé leur perception quant à la valeur des baleines, ne les considérant plus comme des proies mais telles des ressources marines à protéger", alors qu'en japonais le même message explique que "l'ensemble de l'humanité a changé sa perception quant à la valeur des baleines, ne les considérant plus comme des proies mais telles des ressources marines a protéger". N'en deplaise à Greenpeace, il y a grande différence de sens entre ces deux passages...sans parler du fait que les pays opposés à la chasse à la baleine doivent être au maximum une trentaine au sein de la CBI, ce qui ne constitue certainement pas "l'ensemble de l'humanité" ou "la plupart des nations du monde".

Lors de ce premier épisode de "Whale-Love Wagon", Ivan et Yuki questionnent des gens au hasard à Shibuya, l'un des quartiers à la mode de Tokyo. La majorité des gens interrogés ont moins de 30 ans, si ce n'est pas moins de 25. Les questions sont du genre "qu'évoque pour vous le mot baleine ?" ou "saviez-vous que le Japon conduit des campagnes de chasse scientifique ?". Les conclusions de ce micro-trottoir : les Japonais (de Shibuya) savent que les baleines sont de grands mammifères (sans en connaître précisément les dimensions), mais ignorent pour la plupart que leur pays conduit une chasse à la baleine ayant pour but de recueillir des informations sur les populations de cétacés. Honnêtement, il n'y avait pas besoin d'aller poser ces questions aux djeuns' de Shibuya pour deviner ces faits.

J'imagine que la seconde partie de cette campagne de Greenpeace sera de "désinformer" le public japonais. Ils n'ont rien de plus constructif à faire, j'imagine. Personnellement, je leur conseillerais d'aller dans des lieux comme Wada ou Ayukawa...mais les conclusions risquent de ne pas être celles qu'ils souhaitent.
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mardi, janvier 16, 2007

Fête de la baleine à Ayukawa

Le 3 août dernier, je suis allé dans le port d'Ayukawa (ville d'Ishinomaki) pour assister à la fête Oshika kujira matsuri 牡鹿鯨まつり. Ce port est situé à l'extrémité sud de la péninsule d'Oshika, dans le departement de Miyagi. La chasse à la baleine n'a commencé à Ayukawa qu'en 1906, lorsque la compagnie Tôyô Gyogyô 東洋漁業 y a ouvert une station baleinière. Cette dernière sera suivie par de nombreuses autres sociétés, faisant d'Ayukawa le premier port de chasse cotière du Japon au 20e siècle. C'est grâce aux nombreux travailleurs venus des communautés baleinières traditionnelles de l'ouest de l'archipel que les techniques de dépeçage ainsi que les coutumes entourant la chasse à la baleine vont prendre racine dans cette partie du Japon.

Ayukawa ayant été l'un des plus grand port de chasse à la baleine au Japon, il a également été le plus touché par l'entrée en vigueur en 1988 du moratoire décidé par la Commission baleinière internationale. Afin de soulager en partie les difficultés des baleiniers d'Ayukawa, l'Etat japonais a décidé de partager le quota de chasse à la baleine à bec de Baird (hors juridiction de la CBI) entre Wada et Ayukawa (26 baleines chaque, actuellement). De même, la ville d'Oshika, puis celle d'Ishinomaki (suite à la fusion d'Oshika avec cette dernière) ont essayé de développer le tourisme en exploitant l'image de la chasse à la baleine à Ayukawa. C'est ainsi qu'y a été créé le musée Oshika Whale Land.

J'ai justement fait un petit tour de ce musée avant le début de la fête. A côté du bâtiment principal, est exposé à cale sèche un navire baleinier, le Toshimaru No 16 第十六利丸 qui a servi 20 fois en Antarctique. Le musée en lui-même est bien conçu et présente de façon claire et intéractive les cétacés et leur chasse. Il est cépendant moins grand et dispose de moins de materiaux que celui de Taiji (département de Wakayama).

A 9h30, un rituel bouddhique à la memoire (kuyô 供養) des baleines et des hommes morts en mer était organisé sur la place se trouvant devant le musée et faisant face au port. Cette coutume d'organiser des cérémonies mortuaires pour les baleines n'est pas nouvelle puisqu'elle a commence au Japon à la période d'Edo. Cette pratique existe encore dans la plupart des régions où des kujiragumi opéraient et dans les ports baleiniers comme Ayukawa. C'est à 10h que la fête a débuté avec l'allocution de plusieurs représentants locaux. Ensuite, les fanfares de deux écoles locales ainsi que celle des pompiers ont défilé le long de l'avenue du port. Des collégiens ont par la suite dansé sur l'estrade installée spécialement sur la place pour la fête.

A midi, alors que les festivités connaissent une petite pause, de la viande de baleine (à bec de Baird) grillée est distribuée gratuitement au public. D'après ce que j'ai entendu, une baleine avait été capturée et dépecée la veille. A 12h30, un ensemble de danseurs et de musiciens de l'île Kinkazan sont venu présenter une danse traditionnelle (d'origine chinoise) du dragon-serpent 金華山龍蛇踊り.

La principale attraction de la fête a eu lieu à partir de 13h30 avec la démonstration de tirs au canon lance-harpon sur trois maquettes de baleines disposées dans les eaux du port. Une reconstitution de la chasse à la baleine à la période d'Edo était organisée lors de cette fête jusqu'en 2004, bien qu'il semble que cette forme de chasse ancienne n'ait jamais été pratiquée à Ayukawa. Celle-ci aurait été abandonnée pour des raisons budgétaires. Le reste du spectacle consistait en divers chants, tours de magie et feux d'artifice.

La fête de la baleine d'Oshika a commencé en 1953. Elle s'appelait alors Ayukawa kujira matsuri 鮎川鯨まつり. Elle fut interrompue entre 1960 et 1963, le port ayant subi d'importants dégâts suite à un tsunami causé par un tremblement de terre au Chili. Cette année, on comptait 200 visiteurs, ce qui est peu par rapport aux années précédentes.

Après la démonstration de tirs de canon lance-harpon et une seconde visite du musée, je suis allé faire un tour vers le sanctuaire Kumano-jinja 熊野神社 d'Ayukawa. Des harpons sont disposés sur les bords de l'escalier menant au bâtiment principal, mais je n'ai pas pu obtenir de renseignements de la part des habitants d'Ayukawa que j'ai rencontré en chemin quant à leur signification. Sur le chemin menant au sanctuaire, j'ai remarqué une stèle funéraire érigée à la mémoire d'employés de Tôyô Hogei 東洋捕鯨 décédés lors d'un accident en mer en 1928. A noter que les baleiniers d'Ayukawa se rendent tous les ans au sanctuaire Kinkazan pour prier avant le début de la saison de chasse.
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lundi, janvier 08, 2007

L'histoire de la chasse à la baleine au Japon - 3

Avant de poursuivre le compte-rendu de mes pérégrinations dans les différentes régions du Japon où subsistent des pratiques culturelles relatives à la chasse à la baleine, je vais continuer ma présentation sommaire de l'histoire de cette activité dans l'archipel.

Tout comme je l'avais indiqué précédemment, bien qu'il n'y ait pas de consensus quant à l'existence d'une chasse à la baleine jusqu'à la fin du 16e siècle, il est important de noter que des connaissances, des savoir-faire et des structures économiques s'étaient développés par le biais de l'exploitation des baleines échouées et de la chasse aux petits cétacés (dauphins, globicéphales). Ces connaissances, techniques et structures ont probablement créé la nécessité d'une chasse organisée à la baleine.

Selon le Saikai geigei ki 西海鯨鯢記 (1720), c'est durant l'ère Genki (1570-1573) que les premières opérations de chasse organisée à la baleine auraient été conduites près de Morozaki (péninsule de Chita). A bord de sept à huit embarcations légères et rapides, les chasseurs capturaient à l'aide de harpons les baleines qui s'aventuraient dans l'une des trois baies situées près du cap Morozaki : Ise, Chita, Mikawa. Cette technique de chasse au harpon (tsukitorihogei 突き捕り捕鯨) va être transmise dans les régions avoisinantes et notamment le long de la côte est de la péninsule de Kii (départements de Mie et de Wakayama). C'est ainsi qu'apparaissent des groupes de chasse appelés kujiragumi 鯨組 et dont l'organisation et les infrastructures sont héritées des groupes maritimes armés appelés suigun 水軍.

La transmission des techniques va se poursuivre au début du 17e siècle et des kujiragumi vont se former dans les régions où il existait des techniques relatives à l'utilisation des baleines échouées, en particulier à Muroto (Shikoku) et dans le Saikai (Nord-ouest de Kyûshû). A noter que ces transmissions de savoir-faire ne sont pas à sens unique puisque diverses améliorations techniques, notamment au niveau des embarcations, furent mises au point dans les nouvelles zones puis transmises aux autres régions.

La méthode de chasse au harpon va connaître son essor dans les années 1650-1660. Cependant, la difficulté de capturer certaines espèces comme les rorquals dont le corps coule lorsque l'animal est mort, ainsi que le faible taux de réussite de cette méthode de chasse - de nombreuses baleines sont blessées mais réussissent à échapper aux chasseurs - vont en provoquer le declin et la faillite de nombreux kujiragumi après cette période.

A suivre...
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