vendredi, avril 27, 2007

L'organisation des kujiragumi - 1

Nous avons précédemment vu que des groupes de baleiniers dits kujiragumi opéraient dans différentes régions du Japon durant la période d'Edo. Penchons-nous maintenant sur l'organisation du travail dans ces groupes. Comme je l'ai évoqué auparavant, on peut différencier les kujiragumi en fonction des techniques de chasse qu'ils emploient : ceux qui chassent au harpon (tsukigumi 突き組) et ceux qui utilisent harpons et filets (amigumi 網組). Ces derniers ayant été les plus nombreux à partir de la fin du 17e siècle, nous nous limiterons ici à l'organisation du travail des amigumi.

La structure sociale des kujiragumi reflètent souvent celle des communautés où ils opéraient. C'est particulièrement le cas de villages comme celui de Taiji dont l'activité principale était la chasse à la baleine. Il faut cependant tenir compte des kujiragumi de l'ouest de Kyûshû dont la main d'œuvre provenait de nombreuses régions et se rassemblait pour les saisons de chasse. Ces mouvements de personnes s'expliquent par les besoins des kujiragumi en travailleurs spécialisés. Ainsi, c'est au mois d'août que de nombreux artisans se réunissaient pour les travaux préparatifs dits maesakuji 前作事 ou maezaiku 前細工 qui consistaient à confectionner les cordes et filets, les bateaux, les harpons et autres ustensils nécessaires aux opérations baleinières.

Le lieu qui sert de base aux opérations sur terre du kujiragumi s'appelle le nayaba 納屋場 et est composé de plusieurs bâtiments dits naya 納屋 qui ont chacun différentes fonctions. Tous ces batiments sont sous le commandement de superviseurs appelés bettô 別当 qui s'inscrivent dans l'organisation pyramidale du kujiragumi. En divers endroits surélevés sont installés des postes de guets dits yamami 山見 permettant d'observer les environs et de repérer le passage de baleines non loin des côtes. Les informations relatives aux baleines repérées (emplacement, direction, nombre, espèce, etc.) étaient transmises au poste de commandement du nayaba à l'aide de fanions ou de signaux de fumée. De fait, les yamami jouaient un rôle crucial dans les activités du kujiragumi et le guetteur (yamami-ban 山見番) ayant repéré une baleine était souvent récompensé de manière substantive (à condition bien sûr que la chasse ait été fructueuse).

L'ensemble des opérations ayant lieu en mer sont généralement désignée sous le terme okiba 沖場. Lorsqu'une baleine a été repérée, les dirigeants du kujiragumi décident généralement de l'endroit où deployer les filets. Ces derniers sont à la charge d'embarcations appelées amibune 網船 ou sôkaibune 双海船 qui allaient généralement par deux ou trois pour un filet. Le piege ainsi formé par les filets ouverts en deux ou trois épaisseurs est appelé ajiro 網代 ou amiba 網場.

Une fois les filets deployés, une vingtaine de bateaux rabatteurs dits sekobune 勢子船 à bord de chacun desquels se trouve un harponneur (hazashi 刃刺) et une douzaine de rameurs (kako 水夫) se chargent de prendre en chasse la baleine et de la diriger vers le piège. Pour ce faire, ils adoptent une formation en "V" et effraient le cétacé en battant les bords du bateau à l'aide de gourdins et en criant. Lorsque la baleine se prend dans les filets, les hazashi commencent le harponnage, d'abord à l'aide de harpons légers appelés hayamori 早銛 puis de plus en plus lourds (yorozumori 萬銛) généralement reliés aux bateaux ou à des flotteurs par des lignes pour épuiser la baleine. Il fallait généralement plusieurs dizaines, voire plus d'une centaine de harpons pour affaiblir l'animal.

A ce moment, plusieurs hazashi plongent dans l'eau, couteau entre les dents, et nagent en direction de la baleine pour accomplir la périlleuse tâche du hanakiri 鼻切り. Le hanakiri consiste à grimper sur l'animal agonisant et à percer un trou dans son évent pour y passer une corde puis à enrouler cette corde autour du corps de la baleine en plongeant en dessous plusieurs fois. L'animal est ensuite mis à mort à l'aide de lances (ken 剣). Les baleiniers entonnent alors trois fois "namuamidabutsu 南無阿弥陀仏" en prière pour le repos de l'âme de la baleine. Le cadavre de cette dernière est ensuite attaché à deux bateaux remorqueurs appelés mossôbune 持双船, reliés l'un à l'autre par des poutres transversales, puis conduit vers la côte pour le dépeçage.

A suivre...
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lundi, avril 16, 2007

Journalisme et chasse à la baleine

Il est assez impressionnant de voir à quel point le traitement de l'information diffère entre les pays occidentaux et le Japon quand il s'agit de chasse à la baleine. Autant les médias nippons sont d'une neutralité déconcertante, ne diffusant que des faits bruts, autant les journalistes occidentaux, en particulier anglophones, sont fortement influencés par la propagande anti-baleinière des Greenpeace et autres WDCS (au point d'ailleurs de quasi-systématiquement citer le porte-parole de l'une de ces ONG). On ne peut pas critiquer les gens d'avoir une opinion sur un sujet donné, mais parfois on sent un manque de recherche sur le sujet de la chasse à la baleine.

Il y a deux mois, Reuters, l'une des plus importantes agences de presse, a publié un article et un reportage (voir vidéo) sur un hamburger de baleine servi dans un restaurant du port de Wada (département de Chiba). L'idée générale de cet article et de ce reportage, c'est que les promoteurs de la chasse à la baleine essayent de stimuler l'appétit des jeunes Japonais en mettant au point de nouvelles recettes telles que le "kujira burger" dont il est question. En toile de fond, on a l'idée vehiculee par les ONG anti-chasse que les stocks de viande de baleine frigorifiée continuent d'augmenter du fait du dedain des Japonais pour cet aliment, atteignant environ 4500 tonnes en novembre 2006. Pourtant, ces stocks ont bien baissé depuis. En fevrier 2007, ils étaient de 3161 tonnes.

Wada se situe à un peu plus de deux heures de voiture ou de train de Tôkyô, dans une région plutôt rurale. Il est donc peu probable que de nombreux jeunes Tôkyôïtes fassent le déplacement uniquement pour déguster un hamburger de baleine. D'autant plus que ce plat n'est servi qu'un jour par mois, chose qu'Olivier Fabre oublie de préciser dans son reportage pour Reuters. Ce n'est pas comme ça que les stocks de viande de baleine vont s'écouler.



Voulant en savoir plus, je me suis rendu dans ce restaurant au mois de février dernier et ai posé quelques questions au gérant que j'avais déjà rencontré en juillet 2006. Là, on m'a appris qu'il y avait deux recettes de hamburgers de baleine, l'une à base de viande de rorqual de Minke, l'autre avec de la chair de baleine à bec de Baird. Cette deuxième espèce est chassée commercialement en été au large de la péninsule de Bôsô et n'a absolument rien à voir avec les stocks de viande de baleine qui s'accumuleraient. On m'a également expliqué que la plupart des jeunes des environs mangeaient de la baleine sans réticences, ce qui parait tout à fait normal si l'on prend en compte le fait que cette région a une longue tradition baleinière.

Ce qui est intéressant dans cette histoire, c'est que les mêmes "kujira burgers" avaient déjà fait l'objet d'un article de la part de Reuters en juin 2006. De même, une chaine de fast-food de Hakodate (département de Hokkaidô) avait déjà lancé un plat du même genre en 2005. Autrement dit, rien de nouveau. En fait, je pense que l'objectif des journalistes est de faire du sensationnel. Business, quand tu nous tiens !

Enfin, si on compare le "kujira burger" de la photo à celui qu'Olivier Fabre mange devant un MacDonald's (précision : il n'y a pas de McDonald's à Wada !), on peut se demander si la viande de baleine n'a pas disparu du hamburger du journaliste de Reuters...

Crédit photo : Reuters.

Mise à jour (28 avril 2007) :
Il semble que la vidéo du reportage d'Olivier Fabre ne soit plus disponible sur Youtube. Elle est cependant disponible sur le site de Reuters.
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samedi, avril 07, 2007

La baleine de Shinagawa

A Tôkyô, non loin de la gare de Shinagawa, se trouve un petit sanctuaire shintô du nom de Kagata-jinja 利田神社. A côté de ce dernier est érigé un monument funéraire (kujira-zuka) dédiée à une baleine qui s'est echouée dans la baie d'Edo à la fin du 18e siècle.

Le 1er mai 1798 (an 10 de l'ère Kansei), une baleine qui s'était perdue dans la baie d'Edo suite à une violente tempête fut repérée par des pêcheurs locaux. Ces derniers parvinrent à capturer l'animal affaibli en le faisant s'échouer dans les eaux de Tennôzu. La capture de ce cétacé qui mesurait environ 16 mètres de long et 2 mètres de haut, a attiré l'attention des habitants d'Edo, dont le 11e shôgun, Tokugawa Ienari 徳川家斉. L'effervescence créée par ce spectacle extraordinaire dans la baie d'Edo a été reproduite dans une estampe de Katsukawa Shuntei 勝川春亭 (1770-1820) intitulée "Shinagawa-oki no kujira Takanawa yori miru zu" 「品川沖之鯨 高輪ヨリ見ル図」 (Vue de la baleine de Shinagawa depuis Takanawa).



Après avoir été exposée à la vue de tous, le cadavre de la baleine fut achetée par un marchand du quartier de Utagawa-chô pour quelques 41 ryô (entre 1 et 2 millions de Yen actuels). La tête de l'animal a été enterrée là où se trouve actuellement la stèle funéraire. Bien que les écrits de l'époque ne précisent pas de quelle espèce il s'agissait, on pense que c'était une baleine bleue.
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