samedi, janvier 05, 2008

"Kujiragami", la chasse à la baleine à Ikitsuki

Pour illustrer ce que j'ai dit dans "L'histoire de la chasse à la baleine au Japon - 4" et sur l'organisation des kujiragumi, je vous propose un autre article du Yomiuri shinbun daté d'octobre 2004.

"
Kujiragami" - Ikitsuki, département de Nagasaki
Yomiuri, le 15 octobre 2004

Kujiragami
Œuvre de Uno Kôichirô (1934-), lauréat du 46e prix de littérature Akutagawa (1961). Une jeune homme dont le grand-père, le père et le frère aîné ont été tués par une gigantesque baleine appelée "kujiragami" (la baleine-dieu), affronte cette créature à plusieurs reprises.

La base d'opération du kujiragumi qui a capturé 20.000 baleines

Le typhon qui approche assombrit les eaux bleu foncé et agite violemment la surface de la mer. Près des pêcheurs qui retendent les amarres de leurs bateaux, un chat court se réfugier vers un camion garé dans le port.

Uno Kôichirô est un auteur lauréat du prix Akutagawa. L'œuvre qui lui a permis de remporter ce prix est Kujiragami. J'ai visité l'île d'Ikitsuki où prend place cette histoire acharnée de trois générations de baleiniers.

Du milieu de la période d'Edo au début de l'ère Meiji, le plus important kujiragumi du Japon, le clan Masutomi était basé ici. Les kujiragumi sont pour ainsi dire des organisations de pêche. Le clan Masutomi avait également créé des bases sur l'île d'Iki, sur les îles Gotô, à Yobuko (département de Saga) et à Senzaki (département de Yamaguchi). A son apogée, il comptait quelques 3000 baleiniers et 200 bateaux. Il aurait capturé en tout plus de 20.000 baleines jusqu'à la fin de ses activités.

La baie de "Wada sur l'île de Hirado, dans la province de Hizen" qui apparait dans Kujiragami, n'existe pas en réalité. Il existe néanmoins un port baleinier du nom de Wada-ura dans le département de Chiba.

"Il s'agit sans doute d'un lieu imaginaire créé en mélangeant Wada et Ikitsuki".

C'est l'hypothèse qu'émet Nakazono Shigeo, conservateur au musée municipal d'Ikitsuki, Shima no Yakata, qui se trouve sur une coline surplombant la mer.

Ouvert il y a neuf ans, le musée présente l'histoire baleinière de la ville en exposant écrits, outils de chasse et panneaux.

Respect pour les "isanatori" (baleiniers)

Outre Kujiragami, il existe un autre roman qui s'inspire de la chasse à la baleine à Ikitsuki. C'est Isanatori de Kôda Rohan (1867-1947).

"Je n'ai jamais entendu dire que Rohan ou Uno s'étaient rendu à Ikitsuki. Il est probable qu'ils aient écrit leurs œuvres en se basant sur des rouleaux peints".

(Photo : La chasse côtière à la baleine a longtemps été pratiquée près de Hirado (photo du début de l'ère Shôwa - crédit : Ville d'Ikitsuki).)

Le musée détient le rouleau peint intitulé Isanatori ekotoba (1829) datant de la fin de la période d'Edo.

Il s'agit de vingt-deux estampes représentant la chasse à la baleine du clan Masutomi. Les espèces de baleines et la façon de les dépecer y sont décrites en détail. On aurait retrouvé que quatre ou cinq exemplaires de cet ouvrage au Japon.

Les baleines harponnées et prises dans les filets, les bateaux à bords desquels se trouvent des hommes. Les baleines remorquées vers la côte puis dépecées, le bord de mer où s'affairent les hommes. Les gigantesques baleines et les hommes qui à côté ressemblent à des fourmis.

"La mer est agitée comme lors d'une tempête du fait du monstre qui se débat et se retourne sur lui-même. Tout en étant balancées presqu'au point de chavirer, les baleinières lancent tour à tour leurs harpons contre le mur noir qui se dresse face à eux, et bientôt, d'épais caillots de sang se mêlent à la pluie qui coule à verses".

C'est ainsi qu'Uno décrit la violence de la chasse dans Kujiragami.

"Six cents baleiniers poursuivaient une baleine. Ils la chassaient vers les filets déployés en trois épaisseurs et lançaient leurs harpons les uns après les autres. Lorsque l'animal était quasiment mort, un leader appelé "hazashi" plongeait et montait sur le dos de la baleine, puis en perforait évent pour y faire passer une corde", explique M. Nakazono.

Lorsque l’on songee à ces combats frénétiques entre baleines et humains, on ne peut que ressentir qu'un profond respect pour ces hommes bien sûr, mais aussi pour les baleines.

Des chrétiens cachés également

En marchant un peu le long d’un chemin en pente depuis le port de pêche, on trouve une imposante demeure entourée d’un mur en pierre. Il s’agit de la maison bâtit en 1848 où les chefs du clan Masutomi ont résidé de génération en génération.

(Photo : Maison des Masutomi, héritiers des techniques de chasse baleinière.)

En septembre de cette année (ndt : 2004), cette demeure a fait l’objet d’un rapport et devrait être prochainement enregistré au patrimoine culturel tangible national. M. Masutomi Tetsurô (68 ans) qui réside actuellement à Fukuoka, retourne occasionnellement dans cette maison. Il était présent le jour où je me suis rendu à Ikitsuki.

Les Masutomi ont occupé la fonction de dirigeant du kujiragumi durant sept générations depuis la période d’Edo. M. Masutomi Tetsurô fait partie de la onzième génération, soit quatre générations après le dernier dirigeant.

"Il y avait de nombreux chrétiens dans le kujiragumi, mais les autorités étaient indulgentes car leur oppression aurait nuit à la capture des baleines et donc aux revenus du fief de Hirado. Ce genre de circonstances expliquent en partie l’existence des chrétiens cachés."

Shaki, le personnage principal de Kujiragami se prosterne devant le sanctuaire où est célébré le dieu des océans. Toutefois, une statuette de la Vierge Marie y était conservée.

M. Masutomi est le président de l’Association de préservation des chants baleiniers d’Ikitsuki.

-Iwai medeta no Wakamatsu-sama yo / Eda mo sakaete ha mo shigeru / Sankokuichi ja / O-iwaitori sumaso -

Il continue d’enseigner les anciens chants aux enfants d’Ikitsuki. "Cependant, il n’y a plus de danse. Il ne reste plus personne qui les connaît aujourd'hui", explique M. Masutomi.

La plage où se trouvait les ateliers de dépeçage et l’endroit où on faisait sécher les filets, est devenue un lieu de baignade. Petit à petit, une culture s’érode. (Kido Takashi)


*****************Fin de l'article*********************

Commentaires personnels :
- Tout comme l'indique l'article, le clan Masutomi 益冨組 était la plus grande organisation de chasse à la baleine du Japon à la période d'Edo. Il dirigeait en réalité plusieurs groupes (kujiragumi) œuvrant en divers endroit de la région du Saikai (Nord-ouest de l'île de Kyûshû et Ouest de celle de Honshû). Les activités du clan Masutomi dépassait les frontières du fief (han 藩) de Hirado où se situait le siège du clan. J'ai d'ailleurs commencé de lire un livre à ce sujet, Hansai hogei-gyô no tenkai - Saikai hogei to Masutomi-gumi 藩際捕鯨業の展開-西海捕鯨と益冨組 (2004) de Sueta Tomoki. J'essaierai d'en faire un résumé à l'occasion.

- La résidence des Masutomi a été enregistrée au patrimoine culture tangible national (japonais) le 29 novembre 2004. Les bâtiments enregistrés sont la demeure principale (omoya 主屋), la salle de réception (zashiki 座敷), le sanctuaire Ebisu-jinja 恵美須神社 et la porte Onari-mon 御成門.

- L'article mentionne les chrétiens cachés (kakure-kirishitan 隠れキリシタン) qui semble-t'il, étaient nombreux dans les îlots du Nord-ouest de Kyûshû, notamment Ikitsuki et les îles Gotô. Le musée Shima no yakata évoqué dans l'article présente également l'histoire et la culture des chrétiens cachés. Ne maîtrisant pas ce sujet, je me garde de faire tout commentaire sur les kakure-kirishitan, mais si un lecteur dispose d'informations sur ce que M. Masutomi Tetsurô dit quant au rôle de ces chrétiens dans les kujiragumi, je suis preneur.

- Je n'ai pas encore eu l'occasion de me rendre à Ikitsuki, mais cette une région que j'aimerais vraiment visiter, ne serait-ce pour assister à une représentation de chants baleiniers de l'Association de préservation des chants baleiniers d’Ikitsuki (Ikitsuki isanatori-uta hozon-kai 生月勇魚捕唄保存会). Si cela se réalise, je mettrai une vidéo de ces chants.

- L'ouvrage dont il est fait mention dans l'article, l'Isanatori ekotoba 勇魚取絵詞, a été réalisé par le clan Masutomi. Les illustrations que j'ai utilisé pour présenter l'organisation des kujiragumi proviennent de cet ouvrage. L'Association baleinière du Japon (Japan Whaling Association) et l'Institut japonais de recherche sur les cétacés (Institute of Cetacean Research) ont publié un livret illustré à ce sujet en 2004.

Mise à jour (29 février 2008) :
Selon le quotidien japonais Mainichi, la préfecture de Nagasaki aurait désigné la demeure des Masutomi en tant que patrimoine culturel.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

bonjour,
j'ai mené des recherches sur les chrétiens cachés d'Ikitsuki et me suis rendu sur place il y a 1 an, charmante île et histoire passionante. Mais je n'avais jamais entendu cette hypothèse liant la résistance des kakure kirishitan à la pêche à la baleine. En avez-vous plus appris depuis ? Je dois retourner là-bas à la fin de l'année, je tâcherai de vous enregistrer des chants baleiniers. guiyom45@yahoo.fr

isanatori a dit…

Cher anonyme,

Merci pour votre message.
J'aimerais moi aussi en savoir plus sur la relation des kakure et des kujiragumi. Il ne semble pas y avoir beaucoup de sources ecrites la-dessus. Sans doute que M. Nakazono du musee Shima no Yakata sait quelque chose sur ce sujet.

Je n'ai pas encore eu l'occasion d'aller a Ikitsuki, mais j'espere pouvoir le faire prochainement. Et qui sait, peut-etre y seront en meme temps. Je vous contacterai si je peux y aller.
isana_tori@yahoo.no