dimanche, février 03, 2008

Lock, Stock et viande de baleine

Certains opposants à la chasse à la baleine prétendent depuis quelques années que les stocks de viande de baleine sont en augmentation, démontrant le dédain des consommateurs pour ce produit au Japon. Ces déclarations se basent uniquement sur le volume total de viande de baleine et ignorent complètement les mouvements des stocks. Grâce aux données fournies (format pdf ; excel) tous les mois par le ministère japonais de l’Agriculture, des Pêches et des Forêts et aux graphiques que David@Tokyo a généreusement mis à ma disposition, je suis en mesure de démontrer que les déclarations en question sont sans fondement.

Avant d’entrer dans le détail, il est important de rappeler d’où provient la viande de baleine. L’Institut japonais de recherche sur les cétacés (ICR) est mandaté par le gouvernement japonais pour conduire des programmes de recherche sur les populations de cétacés dans le Pacifique Nord-ouest (JARPN et JARPN2) et dans l’Antarctique (JARPA et JARPA2). Les termes (article VIII) de la Convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine, texte fondateur de la Commission baleinière internationale (CBI), précisent que "toute baleine capturée dans le cadre de ces permis spéciaux devra autant que faire se peut, être exploitée et les produits ainsi obtenus devront être traités conformément aux directives émises par le gouvernement signataire qui a accordé le permis". Cela signifie que la vente de la viande de baleine obtenue lors de ces programmes de recherche est tout à fait légale. Les bénéfices ainsi générés vont exclusivement au financement des prochaines campagnes de chasse scientifique ; l’Etat japonais ne tire aucun profit de la chasse à la baleine.

Disposant des données pour les années 2004 à 2007, voici le détail des baleines capturées lors des programmes de recherche japonais correspondant à cette période.
JARPN2 – Pacifique Nord-ouest, mi-mai/juin à mi-août/septembre (environ trois mois) :

  • 100 rorquals de Minke (balaenoptera acutorostrata)
  • (+120 rorquals de Minke capturés au large des côtes japonaises à partir de 2006)
  • 100 rorquals boreaux (balaenoptera borealis)
  • 50 rorquals de Bryde (balaenoptera edeni)
  • 10 cachalots (physeter macrocephalus)

JARPA (jusqu’ en 2004/2005) – Antarctique, fin novembre/début décembre à début mars (environ trois mois) :

  • 400 (+/-10%) rorquals de Minke antarctiques (balaenoptera bonaerensis)

JARPA2 (à partir de 2005/2006) – Antarctique, début décembre à mi-mars (environ cent jours) :

  • 850 (+/-10%) rorquals de Minke antarctiques
  • 10 rorquals communs (balaenoptera physalus)

Il est important de prendre en compte les périodes de ces programmes pour comprendre les mouvements des stocks de viande de baleine. Les mois d’avril et d’août/septembre marquent le retour des navires au Japon et donc l’arrivage de la viande de baleine issue des programmes JARPA/JARPA2 et JARPN2. En outre, il faut noter que le programme JARPA2 marque également une augmentation importante de la quantité de viande obtenue du fait du doublement du quota de rorquals de Minke capturés et l’introduction d’un quota pour le rorqual commun, second plus grand cétacé par la taille. Par ailleurs, la campagne 2006/2007 a été marquée par un incendie à bord du Nisshinmaru qui a provoqué la mort d’un membre d’équipage et forcé le retour de la flotte au Japon à la mi-février.

Commençons par l’entrée de viande dans les stocks. Voici deux graphiques, l’un montrant le volume cumulé et l’autre le volume entrant tous les mois.



S’il ne devait pas y avoir de consommation de viande de baleine, le volume total des stocks de viande de baleine devraient être croissant et son évolution devrait ressembler au graphique de gauche. A noter, que le volume annuel de viande de baleine est passé d’environ 6000 tonnes en 2004/2005 à près de 9000 tonnes en 2006, notamment du fait du nouveau programme JARPA2. L’année 2007 n’est vraiment représentative du fait de l’incendie qui a interrompu le programme de recherche en Antarctique (seuls 505 rorquals de Minke antarctiques et 3 rorquals communs ont été capturés cette année-là).
Comme vous pouvez le voir sur le graphique de droite, la quantité de viande de baleine stockée fait généralement un bon aux mois d’avril et août/septembre. Par conséquent, en fonction du mois sur lequel on se base, on peut donner une image assez différente de la consommation de viande baleine au Japon.

Passons maintenant aux sorties de stocks. Voici deux autres graphiques, l’un montrant le volume cumulé et l’autre le volume mensuel de viande sortant du stock.



On peut constater facilement que le graphique de gauche ressemble beaucoup à celui présenté à celui présenté un peu plus haut. Autrement dit, la quantité de viande de baleine sortant des stocks est croissante au cours de l’année. De même, cette quantité est croissante entre 2004 et 2006, passant d’environ 4900 tonnes en 2004 à quelques 5900 tonnes en 2005 et un peu plus de 8500 tonnes en 2006. Bien que les chiffres de décembre 2007 ne soient pas encore disponibles, on peut estimer que total de cette année sera à peu près égal à celui de 2006.
Le graphique de droite permet de remarquer qu’il y a un pique de consommation en été, aux alentours du mois de juillet. Personnellement, je ne sais pas à quoi cela correspond, mais j’essaierai de me renseigner. De même, la période de fin/début d’année est marquée par des sorties de stocks un peu plus importantes que les autres mois. Ceci est probablement dû à la coutume de consommer de la baleine à cette période dans certaines régions du Japon.

Si l’on compare les mouvements des stocks, cela nous donne le graphique suivant.



On constate aisément que les quantités de viande de baleine entrant et sortant des stocks sont relativement similaire d’année en année. Cela signifie que la demande et l’offre sont plus ou moins identiques. On expliquer ceci par le fait que les programmes de recherche japonais sur les cétacés ne sont pas conduit dans un but commercial. Un récent article du quotidien Asahi fait état d’une baisse d’environ 20% des prix de la viande de baleine en 2006 suite à l’augmentation du quota en Antarctique (JARPA2). Ceci est dû au fait que la vente de la viande de baleine obtenue lors de la recherche scientifique japonaise à principalement d’en couvrir les frais. Selon le même quotidien, le montant total de la vente est d’environ 5,5 milliards de Yen (environ 36 millions d’Euros).

Une partie de la viande de baleine est vendue aux communautés locales qui la servent lors de repas scolaires. Selon le quotidien Mainichi, cette vente se fait au tiers du prix habituel et représentait 160 tonnes l’année dernière, soit une quantité infime. De la viande de baleine est également distribuée gratuitement lors de fêtes ou autres événements ponctuels, mais là aussi, il s’agit de quantité assez insignifiante par rapport à la demande privée.

Concernant la consommation de viande de baleine au Japon, il est également important de prendre en compte que les habitudes alimentaires japonaises diffèrent beaucoup en fonction des régions. Autrement dit, la consommation de produits baleiniers à Tokyo n’est pas représentative du reste du pays. La cuisine baleinière japonaise est bien plus répandue dans l’Ouest et le Nord de l’archipel en général et dans les régions où la chasse à la baleine est ou a été pratiquée. D’ailleurs, les chiffres des stocks présentés ici concernent plusieurs entrepôts frigorifiques de diverses régions. Les plus importants sont ceux d’Ishinomaki (département de Miyagi), Tokyo, Kushiro (département de Hokkaidô), Ôsaka, Hakodate (Hokkaidô), Shimonoseki (département de Yamaguchi), Nagasaki, etc.

Il faut également garder en mémoire que le moratoire sur la chasse commerciale à la baleine adopté par la CBI en 1982 et entrée en vigueur au Japon en 1988 a forcément eu un effet important sur le marché de la viande de baleine au Japon. Avant 1988, les baleiniers nippons capturaient environ 2700 baleines (principalement des rorquals de Minke antarctiques) et achetaient également de la viande de baleine à l’URSS. La consommation de produits baleiniers était donc bien plus importante que maintenant.

Pour conclure, on peut dire que les déclarations de certains opposants à la chasse à la baleine selon lesquelles les Japonais ne veulent pas de la viande de baleine et que les stocks continuent d’augmenter sont fausses. La situation actuelle est celle d’un marché contrôlé du fait d’une activité à but non commerciale, la recherche sur les cétacés. A la fin novembre 2007, le volume total de viande de baleine stocké était de 3510 tonnes. Il sera bien moindre à la fin du mois de mars, juste avant que la flotte japonaise rentrera de l’Antarctique.

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