jeudi, juin 19, 2008

La tradition religieuse des « chrétiens cachés » préservée sur l’île d’Ikitsuki

J'avais déjà évoqué les chrétiens cachés (kakure kirishitan 隠れ切支丹) d'Ikitsuki lorsque j'avais présenté la traduction d'un article sur l'œuvre "Kujiragami". Le site FujiSankei a récemment publié un article sur un office religieux tenu par des descendants des chrétiens cachés et lors duquel il était de coutume d'offrir de la viande de baleine bouillie. Cela permet d'envisager un peu mieux la relation entre les chrétiens cachés et le kujiragumi du clan Masutomi. Voici une traduction de cet article.

La tradition religieuse des « chrétiens cachés » préservée sur l’île d’Ikitsuki
FujiSankei, le 18 juin 2008

Dans une petite et sombre pièce à plancher de bois, cinq hommes vêtus de kimonos entonnent une sorte d’incantation en joignant les mains. "Gururiyôza dômino." Les voix graves résonnent avec la mélodie du chant grégorien hérité des liturgies de l’Eglise catholique romaine. Il s’agit de l’ "oratio", des prières où se mèlent le latin et le portuguais au japonais.

Sur le mur de la pièce voisine est accroché une peinture représentant une femme pure vêtue d’un kimono. Bien qu’elle ressemble avant tout à une Japonaise, il s’agit d’une image de la Vierge que ces hommes appellent une "relique sacrée". Devant sont posés du saké dans une petite coupe et de la viande de baleine bouillie dans une assiette. Ces offrandes flottent dans la lumières des bougies.

Malgré l’interdiction durant la période d’Edo, les "chrétiens cachés" n’ont pas renoncé à leur foi. Sur l’île d’Ikitsuki (commune de Hirado, département de Nagasaki), quelques 500 croyants ayant hérité de ces traditions continuent ces offices environ dix fois par an, plus de 130 ans après la levée de l’interdiction au début de l’ère Meiji.

De la sériole et de la seiche

"Autrefois, il était coutumier de consommer les offrandes après avoir executé l’oratio, mais cette pratique a quasiment disparu," explique avec tristesse Kawasaki Masaichi dont la famille se transmet le rôle d’ "oyaji" chargé de préserver la relique sacrée de génération en génération.

Avec la succession de jours fériés du mois de mai, des touristes sont également venu assister à l’office ce jour-là et l’offrande traditionnelle de viande de baleine bouillie a été faite pour ainsi dire de manière exceptionnelle. "Ces dernières années, il est difficile et coûteux de se procurer de la viande de baleine. Nous utilisons donc souvent du sashimi de poisson comme la sériole ou encore de la seiche pour les offrandes," précise M. Kawasaki.

Le saké et la nourriture des offrandes sont des substituts au vin et au pain qui sont utilisés lors des offices chrétiens comme symboles du sang et du corps de Jésus. Autrefois, on utilisait principalement de la viande de baleine en lieu du pain parce qu’on en trouvait facilement.

La technique de chasse consistant à capturer des baleines à l’aide de filets et de harpons s’est établie sur l’île d’Ikitsuki à partir du deuxième tiers de la période d’Edo. Le clan Masutomi qui y dirigeait un "kujiragumi", une organisation de chasse à la baleine, a prospéré durant 140 ans et bâti son immense fortune en extrayant l’huile de baleine selon une méthode qu’il lui aurait été transmise par les Hollandais.

Les baleines étaient également utilisées efficacement pour la nourriture. La viande était salée et envoyée à Fukuoka, le blanc à Saga, le couteux lard des sillons à Nagasaki où le commerce avec l’étranger était florissant, ... De récentes données indiquent que Nagasaki est encore de nos jours la région où la consommation annuelle de viande de baleine est la plus élevée, mais elle ne dépasse pas 170 grammes par habitant. La quantité de viande de baleine en distribution est a ce point rare.

Accrochages

Le navire de protestation de l’organisation écologiste américaine Sea Shepherd se déplace parallèlement, tout près du Nisshin-maru, le navire usine de la flotte de recherche japonaise. Il se rapproche, ignorant les avertissements répétés en anglais par l’équipage japonais lui ordonnant de garder ses distances.

"Distance cinq mètres. Des bouteilles contenant ce qui semble être de l’acide butyrique viennent d’être lancées. Il y a des blessés." Un garde-côte japonais hausse la voix sur le pont du navire pour faire un rapport de la situation. Il s’agit des accrochages qui se sont produits en Antarctique autour de la chasse à la baleine et dont les images ont été diffusées plusieurs fois lors des journaux télévisés au début de cette année.

La Commission baleinière internationale (CBI) a adopté une interdiction de la chasse commerciale à la baleine en 1982. Bien que la chasse scientifique dont le but est d’éclaircir les paramètres biologiques des baleines ait été approuvée à partir de 1987, l’opposition entre les pays baleiniers comme le Japon et la Norvège et les ONG et nations opposées à la chasse à la baleine tels que les Etats-Unis et le Royaume-Uni ne disparaît pas.

"Ce qui pose problème, c’est que les baleiniers capturent des baleines d’espèces menacées d’extinction sans en connaître le nombre exact. Cette pratique n’a de scientifique que le nom et est en réalité commerciale," commente un responsable des relations publiques de Greenpeace Japan.

De son côté, Okada Hideaki de l’Agence pour la pêche rétorque que, de même que pour les poissons, il est nécessaire de prélever des baleines des espèces dont les populations augmentent. "Il existe au Japon une tradition de manger de la baleine depuis les temps anciens et contrairement aux pays occidentaux, on utilise tout dans la baleine," souligne-t’il.

Produit de la recherche

Les pays qui s’opposent actuellement à la chasse à la baleine la pratiquaient autrefois, rejetant la carcasse après en avoir extrait l’huile. Au Japon, l’utilisation alimentaire était centrale et on pense que les habitants de l’archipel consommaient déjà de la viande de baleine à la période Jômon. A l’époque où la chasse commerciale était la plus active après la Seconde Guerre Mondiale, plus ou moins 200.000 tonnes de viande de baleine circulaient annuellement et on en servait même lors des repas scolaires.

La quantité actuelle de viande de baleine est actuellement d’environ 4000 tonnes (données 2007). La viande de baleine est vendue en tant que "produit" de la chasse scientifique que l’Institut japonais de recherche sur les cétacés (Tokyo) conduit sous mandat de l’Agence japonaise pour la pêche et le volume total distribué ne représente qu’un pourcent de celui du thon. Les recettes servant à couvrir les frais de recherche de l’année suivante, un kilogramme de viande de baleine coûte près de 2000 Yen, soit plus du double du prix du thon obèse (Thunnus obesus).

Le nombre de baleines diffère en fonction des espèces. Bien qu’il y ait des craintes que les baleines bleues disparaissent, la CBI a certifié qu’il y avait près d’un million de rorquals de Minke. Malgré cela, les pays baleiniers et ceux opposés à la chasse à la baleine n’arrivent pas à trouver un terrain d’entente.

Tenace est l’opinion observant la valeur de la baleine comme source de nourriture qui pourrait remplacer les poissons tels que le thon dont les ressources ne suffisent pas du fait de la forte demande internationale due au succès des sushi et sashimi. "Je souhaite que les frictions émotionelles et les actions contre la chasse scientifique cessent et qu’un débat puisse avoir lieu dans le calme." Telle est la prière de M. Kawasaki, héritier des croyances de chrétiens cachés à Ikitsuki.

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