dimanche, avril 13, 2008

Pourquoi le Japon tient-il tant à la chasse à la baleine ?

Le site Kujira portal site a ouvert en décembre une tribune intitulée "geiron-tôron" où divers personnes engagées dans le débat baleinier peuvent apporter leur point de vue sur ce sujet. Les interventions n'étant qu'en japonais, j'ai pensé que proposer une traduction en français de ces points de vue sur ce blog pourrait permettre à mes lecteurs de mieux comprendre la position du Japon. Voici donc la première intervention. Il s'agit de celle de Morishita Jôji, négociateur à l'Agence japonaise pour les pêches et commissaire délégué du Japon à la Commission baleinière internationale (CBI).↓↓

Pourquoi le Japon tient-il tant à la chasse à la baleine ?
Morishita Jôji (négociateur, Agence pour les pêches), 20 décembre 2007

Je voudrais profiter de ma première intervention dans cette colonne pour résumer à ma manière, les différents points de vue quant à la raison pour laquelle le Japon s’obstine à chercher à obtenir la reprise de la chasse à la baleine, et ce malgré les critiques à travers le monde. Il s’agit d’une question qui a été posée à diverses occasions et dont la reponse a été variée. Ceux qui sont favorable à la chasse à la baleine soutiennent la gestion des ressources sur la base de données scientifiques, et disent également qu’il s’agit de la culture du Japon. Ceux qui s’y opposent considèrent que l’influence politique de l’industrie baleinière est forte, qu’il s’agit de la chasse gardée d’une partie des bureaucrates de l’Etat japonais, ou bien encore que la chasse à la baleine est devenue un symbole du nationalisme nippon. Des articles de journaux australiens ont même appelé à mieux convaincre la population japonaise car cette dernière ne comprendrait pas bien l’anglais et ne saisirait pas l’opinion du reste du monde.
La réponse à la question de savoir pourquoi le Japon cherche à tout prix à obtenir la reprise de la chasse à la baleine, varie probablement beaucoup en fonction que l’on considère qu’il s’agit-là des Japonais en général, d’une partie de la population, des médias japonais ou bien encore de l’Etat japonais, mais ici, je tiens avant tout à exprimer mon opinion personnelle.

Avant toute chose, il me semble nécessaire de préciser que nous ne cherchons en aucun cas à obtenir la reprise d’une chasse incontrôlée et amenant à la surexploitation, ni même à la capture d’espèces de cétacés qui sont menacées de disparition. Nous désirons exploiter les espèces dont les populations sont abondantes, ce de façon durable (c’est-à-dire de la même manière que l’on utilise les intérêts d’un compte d’épargne sans réduire le capital d’origine) et en respectant les régulations internationales. A l’opposé, certains présentent la chasse à la baleine comme forcément mauvaise, destructrice et impossible à réguler. Je discuterai en détail de ce point de vue lors d’une prochaine intervention.

Pour résumer, voici les raisons pour lesquelles nous tenons à la question de la chasse à la baleine.

(1) La chasse à la baleine, symbole du principe d’utilisation durable

L’utilisation durable, qui a pour objectif de base de permettre à la fois l’exploitation continue et la conservation des ressources naturelles vivantes, est un principe universellement accepté. Il a été établi lors de la Conférence de Rio (Sommet sur l’environnement) en 1992 et défini dans la « Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement » et « l’Agenda 21 ». Autrement dit, il est désormais globalement reconnu qu’en ce qui concerne toutes les ressources vivantes, y compris les ressources pélagiques, des mesures de protection sont prises pour celles qui sont en mauvaise état, et qu’il est permis d’exploiter de manière durable celles qui sont abondantes.
Toutefois, certains pensent que les animaux charismatiques (ceux qui jouissent d’une forte popularité tels que les baleines et les éléphants) doivent être protégés et donc ne pas être touchés à la manière d’icônes, et ce même si leurs populations sont abondantes. Parmi les gens qui s’opposent à la chasse à la baleine, nombreux sont ceux qui simplement, pensent à tord que toutes les espèces de cétacés sont menacées d’extinction et que les pays baleiniers cherchent à les chasser jusqu’au dernier (et si cela devait être le cas, la chasse à la baleine devrait être justement critiquée). D’autres en revanche, pensent que les baleines sont des créatures particulières et qu’elles doivent en tous cas être protégées. En réalité, certains pays farouchement opposés à la chasse à la baleine comme l’Australie déclarent publiquement au sein de la CBI leur opposition à la chasse à la baleine en toutes circonstances (c’est-à-dire même si les populations de cétacés sont abondantes, même si une gestion durable est possible, et même si des mesures de contrôle et d’inspection sont adoptées).
Cette manière de penser pose les problèmes de savoir sur la base de quels critères sont définis ces « animaux spéciaux » ; de savoir si des « nations majeures » peuvent imposer leurs animaux spéciaux aux autres Etats ; et de savoir s’il y a un moyen de freiner l’augmentation progressive de ces « animaux spéciaux ». Si l’Inde devait déclarer aux Nations-Unies que la vache est un animal sacré ne devant pas être mangé, et devait imposer cette perception aux autres pays par le biais de sanctions économiques, le problème serait flagrant à tout un chacun. C’est pourtant exactement ce qui se passe avec les baleines et cela est présenté comme étant l’« opinion internationale ».
Certains considèrent également que les baleines devraient être protégées parce qu’il s’agit d’animaux sauvages, mais c’est également le cas de nombreuses espèces de poissons faisant l’objet de la pêche, et en outre, une part importante de la population mondiale chasse et utilise des espèces animales sauvages terrestres. A ce propos, l’Australie tue annuellement plusieurs millions (et non pas quelques centaines) de kangourous qui sont ensuite vendus pour l’alimentation humaine ou animale (aliments pour chiens).
Soutenir une chasse à la baleine durable revient à soutenir le principe d’utilisation durable, à ne pas créer d’exception arbitraire à ce dernier, à ne pas accepter les caprices d’une partie des « pays majeurs » (ce que l’on appelle l’éco-impérialisme), et à respecter la science et le droit international, et non les discours émotionels sur le charisme de certains animaux lors de discussions internationales. Vu ainsi, n’est-il pas normal de soutenir la chasse à la baleine ?

(2) Les déclarations déraisonnées des opposants à la chasse baleinière

Nombreux sont les gens qui considèrent comme déraisonnées les déclarations des opposants à la chasse à la baleine. Les partisans de l’utilisation durable dont fait partie le Japon ne s’opposent pas à ce que les pays anti-chasse protègent complètement les baleines dans leurs eaux territoriales ou interdisent la chasse à leurs ressortissants, et reconnaissent même les vertus du tourisme baleinier.
Ils demandent seulement que l’on reconnaisse aux pays baleiniers d’exploiter de manière durable les espèces baleinières dont les populations sont abondantes. Le camp anti-chasse, de son côté, n’accepte pas les demandes des pays baleiniers et cherche à faire reconnaître unilatéralement les siennes à toutes les autres nations. La probabilité qu’ils respectent l’opinion des autres et fassent des efforts pour trouver un compromis est extrêmement faible.
Lors de la 59e réunion plénière de la CBI qui s’est tenue cette année (2007), le Japon a fait une proposition de demande d’un quota de chasse pour ses communautés baleinières en laissant vierge l’espace pour le nombre de baleines allouées. Cette démarche avait pour but de montrer que nous étions prêts à négocier quant au nombre de baleines, et avions pour intention de proposer un quota qui logiquement ne devrait pas avoir de effet négatif sur les populations pour qui que ce soit (pour donner un exemple extrême, un quota symbolique d’une baleine était tout à fait envisageable dans les discussions) et ainsi mettre en relief la nature du problème de la chasse à la baleine. Les pays opposés à la chasse ont refusé clairement cette proposition. La principale raison était que la chasse aux petits cétacés des communautés baleinières japonaises comporte des éléments commerciaux et qu’elle se différencie ainsi de la chasse aborigène de subsistance pratiquée aux Etats-Unis et en Russie qui avait été acceptée lors de la même réunion à Anchorage. Dans l’hôtel même où la réunion de la CBI avait lieu, étaient vendus des objets d’artisanat faits de fanons et d’os de baleines du Groenland capturées par les indigènes d’Alaska à plusieurs centaines de milliers de Yen l’unité. Les pays anti-chasse considèrent toutefois que la vente de ce genre d’objets ne présente pas d’aspect commercial, alors que si la viande de baleine était vendue aux habitants ou sur les marchés des communautés baleinières nipponnes, il considérerait ceci comme une activité commerciale ne pouvant être autorisée. Le fait que la commercialité soit à ce point culpabilisée est en soit un problème, mais la définition de « l’aspect commercial » (les objets artisanaux sont acceptables, mais pas la viande) telle que décrite par les pays anti-baleiniers ne peut être justifiée d’aucun point de vue. Est-ce alors réagir de façon éxagérée que de suspecter qu’il y a un principe de base selon lequel aucune chasse à la baleine ne sera permise au Japon quoiqu’il arrive? Tout en ayant le sentiment que les demandes des pays anti-chasse sont déraisonnées, je me demande s’il est bien normal de les considérer comme étant « l’opinion internationale ». Est-il préférable d’abandonner la chasse à la baleine dans l’intérêt national que représente l’image du Japon à l’étranger ?
Lors de sondages sur la question de la chasse à la baleine réalisé dans la rue, on entend fréquemment l’opinion selon laquelle il paraît scandaleux que les pays anti-chasse disent de ne pas manger de baleine alors qu’ils se nourrissent de viande de boeuf. A cela, il est généralement opposé le fait qu’il n’y a pas de comparaison possible parce que les boeufs sont des animaux d’ élevage alors que les baleines sont des animaux sauvages, mais ne s’agit-il pas là d’une opinion qui exprime typiquement l’absurdité que les gens ressentent ou décèlent dans les débats sur la chasse à la baleine ?

(3) Le soutien des pays et des ONG qui approuvent l’utilisation durable

On entend souvent dire que le Japon est isolé au plan international sur la question de la chasse à la baleine et que seuls des pays en voie de développement qu’il a acheté grâce à ses aides, le soutiennent à la CBI (je tiens à traiter de ceci en détail lors d’une autre occasion). La chasse à la baleine durable est toutefois largement soutenue.
Tout d’abord, en plus des trente pays en voie de développement d’Afrique de l’Ouest, de l’Asie Pacifique et des Caraïbes, la Russie, la Chine, la Corée du Sud, la Norvège et l’Islande sont en faveur d’une chasse à la baleine gérée par la CBI. En particulier, les pays en voie de développement défendent ardement et fermement le principe d’utilisation, gardant à l’esprit leur dépendance aux ressources naturelles telles que celles pélagiques de leurs territoires. La Chine et la Corée du Sud ne pratiquent pas la chasse à la baleine, mais soutiennent basiquement la chasse à la baleine en accord avec le principe d’utilisation durable.
Par ailleurs, bien qu’il ait suspendu ses activités temporairement, il existe un Conseil mondial des baleiniers (WCW) qui rassemble les peuples indigènes du monde ayant une tradition baleinière. Les Peuples premiers du Canada et les Maoris de Nouvelle-Zélande y participent également en tant que membres. De même, l’IWMC (Union internationale de gestion des ressources naturelles) qui est une ONG internationale soutenant l’utilisation durable des ressources naturelles et oeuvrant sur divers sujets tels que celui des éléphants est un groupe de spécialistes de la CITES dirigée par Eugène Lapointe, ancien secrétaire général de cette convention de 1982 à 1990. Basé en Australie, le SMS (Species Management Specialists) est un groupe de spécialistes de la gestion des crocodiles et autres reptiles à la CITES dont le leader est l’ancien président du comité aux animaux de cette convention, Hank Jenkins. L’EBCD (European Bureau for Conservation and Development), une ONG qui soutient l’utilisation durable des ressources en Europe, entretient des liens étroits avec le Parlement européen et l’IUCN.
Ces groupes qui soutiennent l’utilisation durable des cétacés considèrent la chasse à la baleine comme faisant partie intégrante du vaste courant de l’utilisation durable des ressources naturelles vivantes et la soutiennent du point de vue de ce principe. Ils estiment que tout recul sur la chasse à la baleine serait un pas en arrière pour le principe d’utilisation durable lui-même. Le fait que leurs principaux sujets d’intérêt soient les éléphants, les crocodiles ou les tortues imbriquées démontrent clairement ceci. S’ils n’avaient pas conscience du fait que la chasse à la baleine a un lien étroit avec leurs sujets d’intérêt, ils n’auraient aucune raison de la soutenir. Ils considèrent que ces sujets se situent dans une opposition entre deux manières de penser que sont l’utilisation rationnelle (wise-use) et la non-utilisation (non-use). L’utilisation rationnelle est l’utilisation durable des ressources tout en assurant leur conservation, alors que la non-utilisation correspond à la pensée représentée par les groupes de protection des animaux selon laquelle il ne faut en aucun cas toucher à la nature.
Une autre particularité de ce sujet est le fait que les peuples indigènes dont le mode de vie dépend de l’utilisation des ressources naturelles et pays en voie de développement soutiennent l’exploitation des baleines. Ils sont fortement opposés à, et ont un sentiment de danger face à la limitation ou l’interdiction d’utiliser des ressources naturelles sans la moindre raison scientifique, et considèrent donc la chasse à la baleine comme symbolique. Pour illustrer ceci, on peut relever le fait que la sécurité alimentaire et le droit souverain d’utiliser leurs ressources reviennent souvent dans leurs déclarations à la CBI. Ils considèrent que le mouvement contre la chasse à la baleine est une attaque contre l’attitude / l’idée qu’un Etat indépendant mette en pratique l’utilisation durable de ses ressources et entreprenne son développement sur la base de sa souveraineté, et c’est par conséquent un important problème pour des pays en voie de développement.
La chasse à la baleine est décrite comme un problème de principe. C’est justement parce qu’il s’agit d’un problème ayant une portée importante dépassant les intérêts des parties concernées, que nous tenons à le traiter en suivant les principes de la gestion des ressources dans une perspective plus large et non pour des profits à court terme.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Salut,

Les passages en gras sont-ils dans l'original ou sont-ce tes propres mises en exergue ?

isanatori a dit…

Salut Voyoute,

Je vois que tu es bien rentree en France.

Oui, les passages en gras le sont egalement dans l'original. Chose verifiable en allant sur le site japonais.