mercredi, mars 26, 2008

L'histoire de la chasse à la baleine au Japon - 6

Comme je l'ai évoqué précédemment, la seconde moitié du 19e siècle va marquer le déclin des kujiragumi malgré les tentatives d'ouverture de nouvelles zones de chasse, notamment au nord de l'archipel, et les essais d'introduction de techniques de chasse occidentales. C'est à cette même période que la chasse à la baleine va être révolutionnée par l'utilisation combinée de bateaux à vapeur et de canons lance-harpons. Cette révolution est le fait d'un chasseur de phoques norvégien, Svend Foyn (1809–1894) qui entre 1968 et 1973 va mettre au point cette nouvelle technique de chasse baleinière qui permet désormais de capturer les rorquals. Ces animaux étaient alors inaccesibles aux baleiniers occidentaux du fait de leur vitesse et du fait que leur cadavre coule après leur mort.

Svend Foyn va mettre en pratique sa nouvelle technique de chasse au large de la région septentrionale du Finnmark, réussissant à capturer une trentaine de rorquals dès 1968 avec son navire; le Spes et Fides. Le Finnmark étant proche de la frontière russe, il ne faudra que peu de temps avant que les succès de Foyn n'attirent l'attention des Russes. C'est ainsi qu'un baleinier russe du nom d’Akim G. Dydymov (?-1891) embauche des canonniers scandinaves et achète en Norvège un bateau équipé d’un canon lance-harpons. Dès 1889, il s’installe à Vladivostok et opère en Mer d’Okhotsk l’été, et en Mer du Japon et le long des côtes coréennes l’hiver.

Dans les années qui suivent, d’autres baleiniers russes vont suivre l’exemple de Dydymov et les rorquals capturés en Mer du Japon seront directement transportés et vendus à Nagasaki. Les Japonais découvre à cette occasion les nouvelles méthodes de chasse qui ne sont pas sans susciter un grand intérêt, d’autant plus que les échanges commerciaux avec les Russes font baisser le cours des prix de la viande de baleine.

En 1897, des entrepreneurs japonais fondent la compagnie Nagasaki Hogei-gumi 長崎捕鯨組 et tentent pour la première fois d’introduire les méthodes de chasse norvégiennes, mais l’équipage japonais ne maîtrisant pas bien ces techniques, cette tentative échoue sans que la moindre baleine ne soit capturée. Prenant le nom de Nagasaki En.yô Hogei 長崎遠洋捕鯨, cette compagnie va être réorganisée et réessayer d’utiliser ces nouvelles techniques avec un plus grand bateau, le Saikai-maru, en faisant appel à un canonnier norvégien. Cependant, le Saikai-maru ne réussissant qu’à tuer trois rorquals, Nagasaki En.yô Hogei sera dissoute en 1898.

Il y aura d’autres tentatives, dont celle d’une Compagnie anglo-russe créée à Nagasaki sous l’impulsion des britanniques Holme-Ringer Co., mais il faut attendre la création de la Nihon En.yô Gyogyô 日本遠洋漁業 en 1899 pour voir l’introduction réussie des techniques de chasse norvégiennes au Japon. Suivant les conseils de Fukuzawa Yukichi 福澤諭吉, un élu du département de Yamaguchi, Oka Jûrô 岡十郎 (1870-1922), va présenter ses projets de création d’une compagnie de chasse à la baleine au gouvernement japonais et ainsi obtenir le soutien qui lui permettra de fonder Nihon En.yô Gyogyô. Le Japon recherche en effet à développer stratégiquement certaines industries afin de contrecarrer l’influence de la Russie en Corée et dans les eaux qui entourent le Japon.

Peu après la création de sa compagnie, Oka part en Norvège pour observer la fabrication des bateaux et des canons lance-harpons, et les méthodes de chasse modernes. De retour au Japon, il commande à un constructeur naval nippon la fabrication d’un petit bateau à vapeur, le Chôshû-maru No.1, et engage un canonnier norvégien. Il établit les bureaux et les installations de dépeçage de Nihon En.yô Gyogyô à Senzaki (Nagato) et choisit d’opérer au large de la Corée. Pour ce faire, il doit cependant obtenir l’autorisation de la Corée et les négociations s’annonceront âpres en raison du quasi-monopole de la chasse à la baleine qu’ont les Russes dans ces eaux, mais une fois de plus, Oka pourra compter sur le soutien du gouvernement japonais.

Le premier rorqual est capturé en février 1900, et la saison 1900-1901 permet à Nihon En.yô Gyogyô de partir sur de bonnes bases grâce à la prise de 52 cétacés. Lors de la saison suivante, Oka loue un bateau, l’Olga, qui appartenait à la société anglo-russe afin d’accroître ses activités, mais malheureusement le Chôshû-maru No.1 est perdu suite à une tempête de neige en décembre 1901. Nihon En.yô Gyogyô ne survit à cette mésaventure que grâce à la volonté d’Oka qui loue deux nouveaux bateaux fabriqués en Norvège en 1903. Dès lors, cette compagnie va connaître de très bons résultats, notamment grâce à l’impact de la guerre russo-japonaise en 1904-1905. En effet, les baleiniers russes se voient chasser des eaux entourant la péninsule coréenne et une partie des bateaux confisqués sera vendue à Nihon En.yô Gyogyô qui se restructure et devient Tôyô Gyogyô 東洋漁業 en 1904.

Outre l’appui qu’a obtenu Oka Jûrô de la part du gouvernement japonais et d’entrepreneurs du département de Yamaguchi, et les coups de pouce apportés par certains évènements tels que la guerre russo-japonaise, l’introduction réussie des méthodes de chasse modernes norvégiennes a une autre raison tout aussi importante. Ainsi, contrairement aux hommes qui, tel Nakahama Manjirô, ont précédemment tenté d’introduire des techniques de chasse occidentales modernes, Oka n’a jamais perdu de vue la nature de la chasse à la baleine au Japon. En effet, bien qu’il ait utilisé les nouvelles méthodes venues de Norvège pour la capture, il a conservé tous les aspects culturels relatifs à la transformation et à la consommation des produits issus de la chasse, qui soutenait les activités des kujiragumi auparavant. D'ailleurs, il existe encore des kujiragumi à cette époque tel qu'à Yobuko (départment de Saga).

Nous aborderons comment la chasse moderne s'est par la suite développée dans l'archipel par la suite.

A suivre...

9 commentaires:

Jess a dit…

Quelle horreur .. Un blog entier consacré a cette activité sanguinaire.

baleine

Sans violence, sans agressivité, sans peur, la baleine avance dans l'existence entourée par l'amour des siens, en exprimant sans cesse son amour non seulement vis-à-vis des autres baleines, mais également envers tous les êtres vivants qui s'approchent d'elle, et c'est bien le sentiment ressenti par la plupart des gens qui ont eu la chance de les approcher de près.

isanatori a dit…

Il faut croire que les baleines (heureusement, il n'y en a pas qu'une!) sont devenues l'objet d'un culte religieux.

Il est vrai que les krills et petits poissons qui se font engloutir vivants par ces pacifiques cetaces seront d'accord pour reconnaitre l'absence de violence, d'agressivite chez ces geants de la mer. De meme, les orques sont les animaux les plus paisibles des oceans et les autres creatures marines le savent. :)

Toutefois, les boeufs, les porcs, les poulets, les poissons et autres animaux, ainsi que les vegetaux que l'Homme mange quotidiennement sont celebres pour leur extreme cruaute et violence. Et c'est par souci d'apporter la paix a ces betes et plantes que les hommes les mettent a mort et les mangent. :)

Plus serieusement, Jess, je ne t'empeche pas de croire ce que tu veux sur les baleines, mais peut-etre serait-il bon que tu acceptes les pratiques d'autres cultures, meme si elles divergent avec tes croyances. Nul animal ne peut vivre sans obtenir la vie d'un autre etre vivant. L'important, c'est d'etre conscient de ce fait.

Jess a dit…

ALors on pourrait parler de végétarisme... Je crois savoir que le Japon avant de sombrer dans la barbarie ordinaire (partagée par bien d'autres pays) fut un grand empire sur le territoire duquel était interdit qu'on tua les animaux. Le Shojin Ryori, art de la cuisine végétarienne japonaise était considéré comme une nourriture qui élève l'esprit. On dit que Shojin Ryori signifie en langage sacré signifie "posséder la bonté et éloigner le mal" ...

Anonyme a dit…

Faut pas être très malin pour comparer un être sensible comme une baleine à du plancton .. Serait-ce donc une certaine absence d'intelligence et de sensibilité qui carctérise le mieux les partisans de la chasse ..

isanatori a dit…

@ Jess,

Les Japonais mangeaient des animaux avant l'introduction du bouddhisme et de sa cuisine vegetarienne, et etaient donc par consequent des "barbares" comme tu le dis. En outre, l'interdiction bouddhique de manger des animaux touchait principalement les animaux a quatre pattes mais pas les poissons. La baleine etait alors consideree comme un poisson, meme s'il est fort probable que les vhasseurs de baleines japonais savaient qu'il s'agissait de mammiferes.


@ anonyme,

Personnellement, je ne fais pas de differences entre les animaux. Une vie est une vie. En outre, comme je l'ai deja evoque sur ce blog, des offices religieux bouddhiques sont organises pour le repos des ames des baleines et d'autres animaux que les hommes tuent pour se nourrir. Est-ce un manque d'intelligence et de sensibilite ?

Jess a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
isanatori a dit…

@ Jess,

J'ai regarde la video. En effet c'est cruel et inacceptable.

Ca n'a toutefois aucun rapport avec la chasse a la baleine, alors je me suis permis d'effacer ton commentaire et te saurais gre de ne plus mettre ce genre de lien.

Jess a dit…

Désolé d'avoir choqué. Je suis tombé sur cette vidéo en tapant "dépecé vivant" dans Google. Je voulais voir ce qui ce dit à propos du massacre de phoques qui a commencé au Canada ou va se rendre Sea Shepherd. En montrant ce lien, je voulais connaitre ton avis, car beaucoup d'occidentaux pensent que les asiatiques prennent du plaisir à voir souffrir les animaux. Pour faire le lien avec les baleines, et bien je pense que c'est à peu pres du même niveau d'inacceptable. Les baleines sont des mammifères, et les pêcher avec un cable et un harpon qu'on leur plante dans le corps est une véritable horreur. Si l'élevage de boucherie n'est pas quelque chose de très réjouissant, j'imagine pas qu'on attrape les vaches dans les champs avec un harpon et une corde pour les trainer jusqu'à ce qu'elle meurent d'épuissement. Cela pour dire, que si beaucoup de japonnais accusent les occidentaux ne pas respecter leur gastronomie, de notre coté nous pouvons dire que les japonnais ne respectent pas notre sensibilté en commettant de tels actes.

isanatori a dit…

Jess,

Merci pour tes explications.
Je ne suis pas sur que tous les Asiatiques soient des monstres sanguinaires qui aiment depecer des animaux vivants. Il faut cependant constater que ces pratiques barbares existent, et pas seulement en Asie.

En ce qui concerne la facon de tuer les baleines, la technologie utilisee par les baleiniers japonais et norvegiens est sans aucun doute la plus efficace et celle qui provoque le moins de souffrances pour ces animaux, la plupart etant tue en moins de 2 minutes. Il faut toutefois reconnaitre qu'il n'est pas possible de tuer tous les animaux sans aucune souffrance, notamment du fait de la taille des baleines et du fait qu'elles se deplacent dans l'eau.

Je te ferai remarquer que les methodes utilisees par les chasseurs inuits et autres sont bien plus cruelles et provoquent de bien plus longues souffrances pour les cetaces. Etrangement, de nombreuses ONG qui s'opposent a la chasse baleiniere nipponne ferment les yeux sur les conditions de mise a mort des cetaces dans le cadre de la chasse dite "aborigene de subsistance".